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Décision n° 2005-1033 du 29 novembre 2005 s'opposant à la mise en oeuvre de la décision tarifaire n° 2005072 de France Télécom relative à une hausse du prix des appels vers les réseaux mobiles de certains pays étrangers


NOR : ARTT0500115S



L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,

Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après « le code »), et notamment ses articles L. 35-2, L. 36-7 et R. 20-30-11 ;

Vu l'arrêté du 3 mars 2005 portant désignation de l'opérateur chargé de fournir la composante du service universel prévue au 1° de l'article L. 35-1 du code des postes et des communications électroniques (service téléphonique) ;

Vu l'avis de l'Autorité no 2000-487 du 26 mai 2000 sur la décision tarifaire no 00-059 E de France Télécom relative à la fixation du prix des communications à destination des téléphones mobiles internationaux ;

Vu l'avis de l'Autorité no 2001-885 du 12 septembre 2001 sur les décisions tarifaires no 2001555 et no 2001556 relatives à la modification du prix des appels fixe vers mobiles étrangers respectivement pour les clients résidentiels et pour les clients professionnels et entreprises ;

Vu l'avis de l'Autorité no 2002-488 du 2 juillet 2002 sur les décisions tarifaires de France Télécom no 2002069 relative à la modification du prix des appels fixes vers mobiles internationaux pour les clients Résidentiels et no 2002076 relative à la modification du prix des appels fixes vers mobiles internationaux pour les clients Professionnels et Entreprises ;

Vu l'avis de l'Autorité no 2003-894 du 24 juillet 2003 sur les décisions tarifaires de France Télécom no 2003064 et no 2003073 relatives à la modification des tarifs appliqués dans le cadre du trafic international fixe vers fixe et fixe vers mobiles pour les marchés résidentiels et professionnels ;

Vu le courrier de France Télécom, reçu le 24 mai 2005 ;

Vu les demandes de l'Autorité des 3 juin, 8 juillet et 1er août 2005 ;

Vu les éléments d'informations complémentaires transmis par courriel le 25 juin 2005 et par courrier le 16 août 2005 ;

Après en avoir délibéré le 29 novembre 2005.

Depuis la publication du décret no 2005-75 du 31 janvier 2005, il incombe à l'Autorité de contrôler les tarifs du service universel et de vérifier qu'ils respectent les principes imposés par l'article R. 20-30-11 du code, en particulier la transparence, la non-discrimination et l'orientation vers les coûts.

Le ministre chargé des communications électroniques, par un arrêté du 3 mars 2005, a désigné France Télécom comme opérateur chargé de fournir la composante du service universel prévue au 1° de l'article L. 35-1 du code des postes et des communications électroniques (service téléphonique).

Conformément à l'article R. 20-30-11 du code, le dossier complet des tarifs des prestations de service universel ne faisant pas l'objet d'un encadrement tarifaire est transmis à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes au moins un mois avant la date prévue pour leur mise en oeuvre. Ce dossier comprend les informations permettant d'évaluer les évolutions tarifaires ainsi que les éléments de l'offre correspondante.


I. - Objet de la décision tarifaire


La présente décision tarifaire a pour objet de modifier le prix des appels émis depuis un poste fixe en France métropolitaine ou dans les départements d'outre-mer à destination d'un poste mobile situé dans 39 pays étrangers, pour les clients titulaires d'un « abonnement principal ».

Il convient de rappeler en premier lieu les mécanismes de reversement applicables entre opérateurs dans le cas des appels émis depuis un poste fixe à destination d'un mobile situé à l'étranger.



I-1. Le système historique des taxes de répartition

entre opérateurs historiques


Historiquement, dans le cas général d'un appel émis depuis un poste fixe dans un pays A vers un poste situé dans un pays B, l'opérateur du pays A d'origine détermine le prix de détail, après avoir négocié avec l'opérateur historique du pays B un montant par minute appelé taxe de répartition. Une clé de répartition fixe la quote-part versée par l'opérateur historique du pays A à l'opérateur historique du pays B au titre de l'acheminement et de la terminaison d'appel dans le pays B.

Dans le cas d'un appel émis par un abonné de France Télécom depuis un poste fixe situé en France métropolitaine à destination d'un mobile situé à l'étranger, l'appel est acheminé par France Télécom à destination de l'opérateur du pays correspondant avec lequel France Télécom est interconnectée (l'opérateur historique) ; ce dernier achemine l'appel vers le réseau mobile destinataire de l'appel.

Dans ce système, France Télécom payait le même montant à l'opérateur historique du pays B, que l'appel se terminât sur un réseau fixe ou un réseau mobile. En conséquence, les appels étaient facturés par France Télécom au client final au même tarif, qu'ils se terminassent sur un réseau fixe ou un réseau mobile.



I-2. Introduction de surcharge mobile


Depuis 1999, France Télécom a cherché à modifier ses accords bilatéraux d'interconnexion internationale pour prendre en compte le montant plus élevé des terminaisons d'appel mobiles. Ces évolutions ont conduit à l'introduction d'une surcharge d'interconnexion lorsque l'appel se termine sur un réseau mobile étranger (sous la forme d'une quote-part spécifique).

France Télécom a souhaité répercuter sur ses tarifs de détail cette surcharge d'interconnexion en introduisant une surcharge sur les prix de détail.


I-3. Les décisions tarifaires précédentes


L'Autorité, par son avis no 2000-487 du 26 mai 2000, a donné un avis favorable à l'introduction d'une surcharge d'un montant de 0,90 F HT/min, soit 13,7 c HT/min, pour les appels à destination des réseaux mobiles de 22 pays (1).

Puis, par son avis no 2001-885 du 12 septembre 2001, elle a émis un avis défavorable à une décision tarifaire visant notamment à introduire une surcharge pour 19 pays supplémentaires (2) et à porter à 1,40 F HT/min, soit 21,3 c HT/min, le montant de la surcharge pour les consommateurs. Ce montant était significativement supérieur au montant versé aux opérateurs mobiles français par France Télécom pour la terminaison d'appel en provenance de l'étranger (3).

France Télécom a alors proposé une nouvelle décision tarifaire, analysée favorablement par l'Autorité dans son avis no 2002-488 du 2 juillet 2002. Cette décision tarifaire introduisait de nouveaux pays (4) en plus des 19 initiaux, et portait le montant de la surcharge à 19,2 c HT/min au-delà du crédit temps. Ce niveau était égal au montant versé aux opérateurs mobiles français pour la terminaison d'appel en provenance de l'étranger.

L'Autorité notait dans cet avis que, d'une part, elle s'attendait à une baisse de cette surcharge au 1er janvier 2003, à la suite de la baisse des terminaisons d'appel françaises, et que, d'autre part, toute nouvelle introduction de surcharge pour de nouveaux pays devrait faire l'objet d'une décision tarifaire soumise à homologation.

Enfin, l'Autorité s'est prononcée favorablement, par l'avis no 2003-894 du 24 juillet 2003, à une baisse de cette surcharge à 6,66 c HT/min pour les pays du Maghreb et à 18,6 c HT/min pour les autres pays bénéficiant d'une surcharge.

Aujourd'hui dans la grille des tarifs internationaux de France Télécom, près d'une centaine de destinations internationales sont concernées par l'introduction d'une surcharge d'interconnexion lorsque l'appel se termine sur un réseau mobile étranger (sous la forme d'une quote-part spécifique).


(1) Autriche, Allemagne, Andorre, Belgique, Danemark, Espagne (et Canaries), Grèce, Irlande, Italie et Vatican, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Australie, Japon, Nouvelle-Zélande, Corée du Sud, Israël, Singapour, Chili, Taïwan. (2) Guernesey, Jersey, Luxembourg, Monaco, Açores, Finlande, Madère, Portugal, Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Chypre, Islande, Brésil, Venezuela, Chine, Pérou, El Salvador, Haïti. (3) Décision no 2000-974 du 20 septembre 2000 se prononçant sur un différend entre Bouygues Telecom et France Télécom relatif à l'interconnexion pour l'acheminement du trafic international à destination du réseau radioélectrique de Bouygues Télécom. (4) Guernesey, Jersey, Luxembourg, Monaco, Açores, Finlande, Madère, Portugal, Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque, Turquie, Maroc, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Roumanie, Slovénie, Chypre, Islande, Malte, Lituanie, Afrique du Sud, Brésil, Philippines, Thaïlande, Venezuela, Chine, Liban, Indonésie, Pérou, El Salvador, Haïti, Paraguay, Qatar.

I-4. Nouveau cadre réglementaire


Dans le nouveau cadre réglementaire, conformément à l'article R. 20-30-11 du code, toute évolution tarifaire relative aux prestations téléphoniques de service universel doit être soumise à l'Autorité, y compris l'extension des zones pour lesquelles une surcharge mobile est prévue.


I-5. La décision tarifaire no 2005072


La présente décision tarifaire a pour objet de modifier le prix des appels émis depuis un poste fixe en métropole ou dans les DOM à destination d'un terminal d'un réseau mobile étranger de 39 nouveaux pays.

La nouvelle liste de pays avec lesquels France Télécom a signé des accords de reversements mobiles spécifiques et pour lesquels France Télécom envisage d'introduire une surcharge de 18,6 c HT/min pour les appels depuis un « abonnement principal » est la suivante :

Zone « reste Europe/Amérique du Nord » : Albanie, Biélorussie, Gibraltar, Lettonie, Moldavie, Ukraine.

Zone « Amérique centrale » : Aruba, Dominique, Grenade, Jamaïque, Nicaragua, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Trinité-et-Tobago.

Zone « Amérique du Sud » : Suriname.

Zone « Afrique et Océanie » : Burkina Faso, Egypte, Gambie, Ghana, Kenya, Namibie, Sierra Leone, Swaziland, Tanzanie, Togo.

Zone « Asie 1, Australie, Nouvelle-Zélande » : Azerbaïdjan, Emirats arabes unis, Palestine, Russie.

Zone « Asie 2, reste Océanie » : Afghanistan, Arabie saoudite, Arménie, Brunei, République islamique d'Iran, Koweït, Ouzbékistan, Samoa occidentales, Sri Lanka, République du Yémen.

France Télécom justifie cette hausse pour 39 pays par deux éléments :

- l'existence d'une surcharge que se versent, dans le cadre de leurs accords d'interconnexion, les opérateurs acheminant du trafic international, afin de rémunérer la terminaison d'appels facturée par les opérateurs de téléphonie mobile des réseaux destinataires susvisés ;



- un souci de non-discrimination vis-à-vis des destinations internationales pour lesquelles de tels accords ont déjà été signés et où une surcharge d'applique déjà.


II. - Analyse de l'Autorité


France Télécom s'est vu attribuer par l'Etat des missions de service public.

L'article 3 de la directive du 7 mars 2002 (5) définit le service universel comme la mise à disposition de services à « tous les utilisateurs sur leur territoire, indépendamment de leur position géographique, à un niveau de qualité spécifique et, compte tenu de circonstances nationales particulières, à un prix abordable ».

En France, ce service universel est défini comme étant la fourniture à tous d'un service téléphonique de qualité à un prix abordable, l'acheminement gratuit à des appels d'urgence, la fourniture d'un service de renseignement et d'un annuaire imprimé et électronique, la desserte du territoire en cabines téléphoniques installées sur le domaine public, ainsi que des mesures particulières en faveur des utilisateurs finals handicapés.

La notion de « prix abordable » s'entend comme « un prix défini au niveau national par les Etats membres compte tenu de circonstances nationales spécifiques et peut impliquer l'établissement d'une tarification commune indépendante de la position géographique ou de formules tarifaires spéciales pour répondre aux besoins des utilisateurs à faibles revenus. Du point de vue du consommateur individuel, le caractère abordable des prix est lié à sa capacité de surveiller et de maîtriser ses dépenses » (6).

L'article R. 20-30-11 du code stipule : « Les tarifs des offres associées à la fourniture d'une des composantes du service universel sont fixés par l'opérateur qui en est chargé en application de l'article L. 35-2, de manière à respecter les principes de transparence, de non-discrimination et d'orientation vers les coûts. »

La présente analyse s'attache à vérifier que les 10 millions de consommateurs qui utilisent l'offre de communications du service universel paient bien un prix abordable.

Afin de vérifier que la hausse des tarifs envisagées par France Télécom respectait le principe d'orientation vers les coûts, elle a demandé à France Télécom de justifier les coûts encourus (II-1) et a comparé les tarifs de France Télécom aux prix de certains courtiers (II-2).


(5) directive 2002/22 /CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive service universel). (6) Considérant 10 de la même directive.

II-1. Les réponses apportées par France Télécom

aux interrogations de l'ARCEP

Questionnaire du 3 juin 2005


L'Autorité a posé à France Télécom par courriel en date du 3 juin 2005 les questions suivantes :

« [France Télécom] peut-il fournir un tableau donnant pour chaque pays (voire pour chaque opérateur s'il y a des différences entre opérateurs d'un même pays) :

- la terminaison d'appel fixe (taxe de répartition) ;

- la terminaison d'appel mobile (surtaxe mobile).

En outre, [France Télécom] peut-il indiquer comment il paie réellement les terminaisons d'appel :

- au prix taxe de répartition et surtaxe mobile ?

- au prix taxe de répartition et surtaxe mobile moins une remise (dans ce cas préciser le mécanisme de remise) ?

- à un prix variable par l'intermédiaires de courtiers ?

Enfin, qu'en est-il du transit ? [France Télécom] peut-il fournir un tableau précisant pour chaque pays s'il utilise son propre réseau ou s'il achète le transit à un opérateur tiers ? Dans le premier cas, fournir le coût moyen associé et, dans le second cas, fournir le prix d'achat. »

France Télécom n'a pu répondre que partiellement aux questions soulevées par l'Autorité dans son courriel du 3 juin 2005. Dans sa réponse, en date du 25 juin, elle mentionne que, sur le marché des communications internationales, elle recourt pour acheminer et terminer les appels vers les différentes destinations internationales :

- soit à des accords bilatéraux, dans ce cas les voies d'acheminement des communications téléphoniques internationales sont celles de France Télécom ou celles des opérateurs avec lesquels France Télécom a signé un accord ;

- soit à des entreprises transitaires pour des problèmes de capacité ou pour obtenir de meilleurs tarifs.

Ainsi, selon France Télécom, dans le premier cas, les tarifs sont négociés dans le cadre des accords bilatéraux, alors que dans le second cas les tarifs sont issus d'accords commerciaux et sont très variables. Aussi n'est-il pas en mesure, comme le lui demande l'Autorité, de fournir pour un pays donné le coût moyen du transit ou son prix d'achat.


Questionnaires du 8 juillet et du 1er août 2005


Le 8 juillet 2005, l'Autorité a fait part à France Télécom des interrogations qui restaient en suspens par l'envoi d'un deuxième questionnaire et le 1er août 2005, faute de réponse, elle a relancé l'opérateur.

France Télécom, dans son courrier du 16 août 2005, n'a pas apporté de réponses aux questions soulevées par l'Autorité concernant les coûts.


II-2. Comparaison avec les prix de transit

pratiqués par certains courtiers


L'Autorité note deux points :

- les montants pratiqués par certains courtiers pour les terminaisons d'appels fixe vers mobiles internationaux sont inférieurs à la surchage de 0,186 hors taxes pratiqué par France Télécom ;



- dans certains cas, les prix pratiqués par ces courtiers sont plus faibles pour les opérateurs mobiles que pour les opérateurs fixes du même pays.

Le tableau ci-après illustre cette observation (tarifs au 1er juin 2005) :



(En euros hors taxes)


Vous pouvez consulter le tableau dans le JO

n° 1 du 01/01/2006 texte numéro 74





III. - Conclusion


Il ressort des éléments fournis par la société France Télécom que celle-ci n'apporte aucun élément suffisamment probant et circonstancié susceptible d'établir que les tarifs qu'elle veut pratiquer soient orientés vers les coûts.

En outre, l'Autorité constate, d'une part, que les courtiers en transit international proposent des tarifs de transit sensiblement plus bas que les tarifs de détail de France Télécom et, d'autre part, que les niveaux de surcharge que France Télécom compte pratiquer sont significativement supérieurs aux niveaux de la terminaison d'appel des opérateurs mobiles de métropole, alors qu'on pourrait supposer une certaine forme de réciprocité tarifaire.

Ainsi, l'Autorité note que France Télécom n'apporte aucun élément précis et circonstancié susceptible d'établir que les tarifs envisagés par son offre suivent le principe d'orientation vers les coûts conformément à l'article R. 20-30-11 du code, par défaut de réponse de France Télécom à ses questions.

En conséquence, au regard des éléments indiqués ci-dessus, l'Autorité s'oppose à la mise en oeuvre des tarifs proposés par France Télécom dans la décision tarifaire no 2005072, au titre du contrôle tarifaire des prestations de service universel.

Par ailleurs, l'Autorité invite France Télécom à revoir dans les meilleurs délais l'ensemble de ses tarifs fixe vers mobile étranger depuis un abonnement principal afin qu'ils respectent les obligations tarifaires imposées par l'article R. 20-30-11 du code pour les prestations de service universel,

Décide :


Article 1


L'Autorité s'oppose à la mise en oeuvre des tarifs proposés par France Télécom dans sa décision tarifaire no 2005072.

Article 2


Le directeur général de l'Autorité est chargé de l'application de la présente décision. Il notifiera à France Télécom cette décision, qui sera publiée au Journal officiel de la République française.


Fait à Paris, le 29 novembre 2005.


Le président,

P. Champsaur